Adìo Arnaud !
Un Certain goût de plomb est ton premier roman. As-tu écrit et publié des nouvelles avant de te lancer dans ce projet d’envergure ?
Un Certain goût de plomb a été mon premier projet d’écriture et pendant longtemps le seul. J’y travaillais en solitaire, sans que beaucoup de proches ne soient au courant, par peur de ne pas savoir comment ils pourraient réagir à ce récit sombre et violent qui ne me définit pas en tant que personne.
J’ai donc attaqué par un roman fleuve. Je ne me suis mis que tardivement aux nouvelles. C’est pourtant un format que j’affectionne en tant que lecteur, et qui est diablement jouissif en tant qu’écrivain car il permet non seulement d’expérimenter, mais aussi de gagner rapidement en expérience et de se constituer un petit stock d’histoires et de futures idées à digérer pour plus tard.
J’ai eu la chance de participer à un atelier d’écriture hebdomadaire à la médiathèque de Mâcon du temps où je vivais encore en Bourgogne. J’y ai écrit pas mal de nouvelles dans des genres très variés, grâce à Marion – la chef d’orchestre bienveillante de cet atelier. C’était aussi un formidable exercice de mise à nu quand il fallait lire le texte, écrit pendant la séance, à voix haute devant tous les autres participants.
Par la suite, j’ai soumis quelques nouvelles à des maisons d’édition via des appels à textes, à Oneiroi notamment, et si elles ont pu figurer en shortlist, elles n’ont pas été retenues au final. Je les garde précieusement au chaud.
Parle-nous de la genèse de ton roman. Pourquoi avoir choisi d’écrire dans un univers western ?
Deux raisons à cela.
La première, c’est qu’en tant qu’écrivain, ce type d’univers me permettait de sortir du lot, de me détacher complètement de la fantasy classique, souvent tournée vers le médiéval, dont j’estime l’offre suffisamment riche avec bon nombre de pépites françaises. Mon humble ambition a été de proposer aux lecteurs une expérience et surtout un monde à part dans lequel il a toutefois ses repères grâce à l’image qu’on se fait toutes et tous du western. Je n’ai pas voulu non plus pencher du côté du Weird West américain mais délivrer ma vision, très francisée, avec ses propres lieux et sa propre Histoire.
La deuxième, relève plus des circonstances de l’époque où j’ai commencé à poser mes premiers mots pour Un Certain goût de plomb : je jouais en parallèle à Red Dead Redemption sur console. J’ai eu le déclic à ce moment-là. J’avais uniquement l’idée du premier chapitre, rien d’autre. Une des protagonistes du roman, Charlise, me hantait depuis quelques années. Tout s’est ensuite construit autour d’elle. Mais je voulais donner dès le départ une « couleur » western à l’histoire de cette pitchoune sacrifiée sur l’échiquier de la guerre.
Comment as-tu travaillé la thématique du western fantasy ? As-tu cherché à éviter les clichés inhérents aux deux genres ou, au contraire, à jouer avec ?
Mon principal souhait était d’éviter l’image virile du cowboy solitaire. J’espère y être arrivé avec ma galerie de personnages à laquelle je tiens comme à la prunelle de mes yeux.
J’avoue qu’ensuite c’était un plaisir de jouer avec tout ce que le western a à offrir. Je ne dis pas que tout y est (je vous laisse le découvrir) mais visez un peu : duels de six-coups et de cartes à jouer, attaque de diligence ou de train, cavalcade de hors-la-loi, révolution, ruée vers l’or, problématiques entre colons et indigènes, racisme et esclavagisme. C’est un puits sans fond pour un écrivain ! Et c’est sans compter les paysages : les déserts de roches, les hauts plateaux et les bayous pour ne citer qu’eux. Vous n’avez plus qu’à mettre tout ça dans un shaker avec une fantasy dynamitée, vos propres inspirations, et à secouer très fort. Gare à l’explosion !
Quant à l’aspect fantasy, imaginez des énormes caméléons capables de devenir invisible dans la seconde et qui, d’un coup de langue, vous étreignent ! Un peuple reptilien qui voue un culte secret à un Roi Serpent au plus profond des bayous. Ou encore une magie poisseuse et arbitraire – les sombres arts chamaniques qui ont, pour ne pas me déplaire, un petit côté Lovecraftien.
Tu as construit Un Certain goût de plomb comme un roman choral. Pourquoi ce choix ? Comment as-tu adapté ton style à chaque personnage ?
Entre 20 et 30 ans, j’ai eu une boulimie pour les séries TV américaines. L’une d’elle m’a particulièrement marquée : LOST, les Disparus. Elle m’a appris inconsciemment l’importance des personnages et de la technique du cliffhanger – le retournement de situation.
Un roman choral permet de ne jamais s’ennuyer, ni pour son lecteur ni pour son auteur. Ce genre permet d’aborder des variétés de paysages, de situations, de thématiques, de rebondir constamment d’un chapitre à l’autre et de jouer sur les attentes du lectorat (en prenant quand même soin de lui !) ; de découvrir au fil des pages les liens entre tous les personnages et de voir s’ils pourront se croiser avec le lot de conséquences attendues (ou non).
J’aime l’humain et les personnalités. Les personnages sont au cœur d’Un Certain goût de plomb. J’aime leurs défauts, j’aime les retrouver. Ils me malmènent comme je les malmène et me prennent régulièrement la plume. Chacun est nourri d’une ambition qui lui est propre. Chacun possède son phrasé, ses tics ou un objet fétiche. Chacun a son intrigue, son évolution, sa résolution. Je couve ainsi l’espoir que chaque lecteur aura son chouchou.
Qu’as-tu le plus apprécié en travaillant sur Un Certain goût de plomb ? Qu’est-ce qui fait, selon toi, les forces de ton univers ?
Je commencerais peut-être par l’univers justement, atypique, dont la somptueuse carte a été illustrée par Marc Moureau (jetez-y un coup d’œil si ce n’est pas encore fait). Certes, ce monde est sombre et cruel – je ne le cache pas, loin de là – mais il ressort des intrigues qui s’y jouent une pugnacité sans faille. Je me bats à montrer qu’il y a du bon dans la fange et l’horreur. Je m’accroche à cette idée universelle de pouvoir tendre la main sans rien attendre en retour ; et, s’il n’y a personne à vos côtés, à se relever, toujours, quoi qu’il advienne, peu importe le temps que cela prend.
Pour le reste, je vais radoter mais ce sont les personnages et leur humanité à plusieurs visages. Leur voix a résonné en moi, comme leurs volontés et leurs relations. Ils ont pris suffisamment leur indépendance entre mes doigts et mon clavier, et il est temps aujourd’hui que je les confie aux lecteurs pour qu’il se les approprient, et tour à tour, les détestent, les soutiennent, ou les chérissent.
Un Certain goût de plomb est un roman qui se veut féministe (entre bien d’autres valeurs). Comment traites-tu tes personnages féminins dans cet univers profondément patriarcal ?
J’ai toujours préféré écrire les personnages féminins, surtout en personnage principal. Je les trouve infiniment plus complexes, plus fortes, plus humaines. Les pressions contre lesquelles elles doivent constamment lutter dans un univers patriarcal met cela en exergue. Je ne suis pas attaché à la figure du héros masculin telle qu’on nous la vend souvent, sans me croire encore capable de la déconstruire.
Quoi qu’il en soit, je n’ai pas réfléchi à faire un roman féministe, et s’il l’est réellement – ce sera aux autres d’en juger et si tel est le cas j’en serai flatté – tout ce que je peux dire c’est qu’avant d’être des femmes, je les ai travaillées comme des personnages crédibles avec leurs contradictions. Ce qui m’intéresse surtout, à l’inverse du Trône de Fer qui place l’histoire du point de vue des « puissants », c’est qu’Un Certain goût de plomb suit le destin de gens ordinaires pris dans une guerre qui les dépasse et qui tentent d’y survivre ou de tirer leur épingle du jeu.
Quelles sont les autres problématiques abordées par la saga ? Quelle importance revêtent-elles pour toi au quotidien ?
Le genre choral d’un Certain Goût de plomb me permet d’aborder pas mal de thématiques. Pêle-mêle : perte d’innocence, quête d’identité et acception de soi, dépassement de sa condition, jusqu’auboutisme, avortement, trahison et deuil.
Celle qui me tient la plus à cœur est l’esclavagisme. Pendant l’écriture du roman, j’ai pu visiter les plantations en Louisiane, connaître leur histoire, en appréhender les drames. Les horreurs à ce sujet dépassent – de très loin – tout ce qu’on peut s’imaginer.
Celle qui m’est la plus personnelle reste la dégradation du corps et la maladie. Un des personnages est atteint d’une sclérose – ce qui est arrivé à un de mes proches et que j’ai vécu au plus près au cours de mon adolescence. Je voulais absolument en parler.
Et si je ne les ai pas évoquées au-dessus : la vengeance et la rédemption sont des thématiques immanquables pour le western. Un Certain goût de plomb s’en nourrit forcément.
En quelques mots, que dirais-tu aux personnes qui hésitent à contribuer à la campagne Ulule d’Un Certain goût de plomb ?
Je vais être coquin et répondre à cette question par d’autres questions :
Ça vous dit de plonger dans un univers qui bouscule les carcans habituels de la fantasy ?
Vous souhaitez soutenir un jeune auteur avec son premier roman et sa maison d’édition qui fourmille de talents ?
Vous voulez découvrir Charlise, Joseph, Nad, Na’wé, et tous les autres personnages ? Les suivre dans leurs mésaventures ? Vibrer à leurs côtés ?
Honnêtement ? Je crois qu’il ne faut plus hésiter.
As-tu un site web, un blog, des réseaux sociaux où les gens pourront suivre ton travail ?
Vous pouvez me retrouver principalement sur Twitter, ainsi que sur Instagram.
Circonstances obligent, j’y parle beaucoup en ce moment d’Un Certain goût de plomb et de sa campagne de financement participatif. Mais j’y partage aussi mes lectures. J’aime profondément le livre et l’imaginaire, dans tous les formats possibles : roman, recueil de nouvelles, BD franco-belge, manga, comics. Je ne m’interdis rien, je me sens curieux et j’adore sortir fréquemment de ma zone de confort.